Quand ça veut pas …

L’année dernière, à peu près à la même époque, le département de l’Yonne bouclait un appel d’offre dit « Tranche 2 » consistant à désigner l’opérateur d’infrastructure qui serait en charge de la réalisation du réseau fibre optique supposé desservir l’ensemble des logements non prévu par la « Tranche 1 » (attribuée à Orange) et les grosses « zones AMII » qui étaient déjà en cours de déploiement (toujours par Orange, mais ce coup ci en fonds propres).

On parle de plus d’une centaine de milliers de bâtiments à connecter à un réseau tout neuf qu’il est nécessaire de créer de A à Z. On reviendra sur ce point et la différence entre raccordable et raccordé, car ce n’est pas anodin.

Le marché a été remporté par Altitude Infrastructure qui a proposé l’offre la moins chère : 0 €. En contre partie, ils s’arrogent la totalité des recette de ce nouveau réseau pendant 30 ans. Le deal est bien meilleur que celui passé avec Orange qui a coûté plusieurs millions d’euro pour deux fois moins de prises.

Que s’est-il passé depuis un an ? Une société adhoc a été crée, filiale d’Altitude, et se nomme Yconik. De multiples rendez-vous ont été pris pour préparer le terrain, planifier, définir les emplacements des principaux équipements de ce nouveau réseau, etc. Aucun travail de terrain (tirage de câble, installation d’armoires, …) n’a été entamé, et c’est assez logique : la préparation d’un réseau de cette envergure n’est pas à prendre à la légère et réclame du temps.

Le cahier des charges, pour ces « 115000 prises », c’était qu’il fallait que ce soit tout fini tout fini pour … 2023. Le mois dernier, lors d’une réunion organisée par le conseil départemental à l’attention de l’ensemble des EPCI, certains affirmaient même que ce serait terminé pour 2022. Après tout, c’est ce qui est écrit sur le contrat signé en début d’année avec Altitude Infrastructure.

Oui maaaiiiis …

Un avenant au contrat, dévoilé il y a peu, repousse l’échéance de 2 ans (Errata : la situation actuelle fait état de 6 mois. Voir en fin d’article). Chez SCANI, on ne va pas se pavaner en disant « on vous l’avait bien dit », par contre, on tient à souligner que repousser de deux ans un chantier qui n’a pas encore commencé (sur le terrain) au motif que les travaux ont pris du retard à cause de la crise sanitaire, c’est s’exposer à un nouveau report dans les années qui viennent. On nous dira probablement qu’on fabule encore, mais on fera tous ensemble les comptes en 2025, si vous le voulez bien.

Notre prévision reste la même, l’Yonne pourra envisager d’afficher un taux de disponibilité du très haut débit de 80% en 2035. Pas avant. Et nous parlons bien de « disponibilité », pas de « raccordement ».

Prise, ligne et CCF sont dans un bateau

On pensait que c’était bien saisi par tout le monde, mais une récente conversation avec un élu nous a prouvé que non, un petit rappel s’impose donc.

Les différents marchés de déploiement de la fibre dans l’Yonne concernent la mise à disposition d’une fibre au plus près des logements. Dans les immeubles, ce sera probablement dans la cave, voir sur le palier. Dans les rues pavillonnaires, ce sera dans les chambres souterraine ou sur les poteaux s’il en existe encore, dans les hameaux ce sera au centre, et pour les habitats dispersés ou isolés, ce sera le long de la départementale la plus proche sur un poteau.

La prestation commandée par les départements commence au NRO (le gros central téléphonique du coin) pour terminer dans cette boite. Entre les deux, des pelles et des pelles de câbles, des armoires, etc.

Et … c’est tout. Ce qui devait être terminé en 2022 ou 2023 et qui vient d’être repoussé à 2025, c’est la pose de ces boites et des fibres qui arrivent dedans.

Dans nos univers d’opérateur on parle de « ligne raccordable ». Il n’y aura pas 115000 prises FTTH dans l’Yonne en 2025. Il y aura (peut être) 115000 lignes de fibre optique qui termineront dans ces boites.

Et après ?

Après, il faudra créer les CCF (câblage client final) entre cette boite et les maisons alentour. Si la boite est sur un poteau, il faudra tirer un câble entre le poteau et la maison, faire un trou dans le mur, rentrer le câble, le coller (agrafes interdites) le long des murs et installer la prise au bout. 2 à 4h de boulot pour deux personnes.

Si la boite est souterraine, il faudra que le fourreau qui mène dans la maison ne soit pas bouché ni écrasé, il faudra percer la dalle de fondation pour faire remonter la fibre, la coller le long des murs et installer la prise au bout. Si le fourreau est bouché, il faudra défoncer le jardin ou la terrasse pour en passer un nouveau, probablement 2 à 3 jours de boulot.

Si la maison est isolée à 3km de la boite, il faudra tirer 3km de câble, en plus de tout le reste (trou, collage aux murs … enfin vous avez compris)

Combien de temps sera nécessaire pour équiper 115000 maisons de la sorte ? Allez, on va sortir notre boule de cristal. Soit 20% des installations qui posent problème et réclament 3 jours de travail, les 80% restants se passant bien (moyenne 3h à deux personnes).

On est donc rendu à 92000 x 6 heures + 23000 x 21 heures … allez, faisons un arrondi, un million d’heure de travail. En 5 ans, 47 semaines travaillées par ans, ça fait 4400 heures de travail à produire par jour. Il nous faut donc une armada de plus de 600 personnes qualifiées et sur le terrain 5 jours par semaine uniquement pour le câblage final. Il faut également l’encadrement qui va avec, les véhicules, les engins et la matière première.

Ceci bien entendu vient en complément des équipes qui déploient le réseau sur la voie publique, sachant que celles-ci doivent être passées avant, évidemment.

A titre de comparaison, la convention « Zone AMII » concernant Auxerre a été signée en 2012 pour une fin de travaux théorique en 2018 et portant sur 45000 prises. Nous sommes en 2020, et voici l’état de ce chantier dans l’Auxerrois à la fin de l’été dernier, soit 8 ans et 2 mois après le début de l’opération :

Seuls Perrigny et Saint-Georges sont à plus de 80%, Charbuy et Valan sont à peine commencés et le reste est « entre 50 et 80% ». Notre estimation « au jugé » donne 65 à 70% de couverture en moyenne. Il est beau, le chantier terminé à 100% en 2018.

Et, encore une fois, on ne parle ici que des câblages sur la voie publique : impossible de savoir ou en est le déploiement réel chez les utilisateurs, c’est une « information stratégique » qui n’est pas publiée.

Dès lors, comment croire une seule seconde que 115000 prises, rurales qui plus est, seront réalisables en 2, 5 ou même 10 ans ?

La botte secrète

A défaut d’avoir prévu le coup en France et d’avoir, dès 2010, crée une véritable filière pour former des jeunes à ces métiers, comment va-t-on faire ? Faire appel aux travailleurs détachés bien entendu ! Il parait qu’au Portugal ils sont bien plus avancés que nous et qu’ils ont donc des tas de gens qui savent bien faire mais qui n’ont plus de boulot.

Rentrons sur terre

Ce n’est pas parce que quelques doux rêveurs nous en mettent plein les yeux avec des fusées vers Mars qu’il faut rester dans les nuages. PCLight depuis 2012, puis SCANI à partir de 2016 s’activent pour amortir le choc du gouffre de l’aménagement numérique.

De 12 méga au lieu de 5 à la mairie de Béon début 2013 à plus de 500 méga symétriques à l’ensemble des bâtiments de l’ancien Groupe Géographique de Joigny aujourd’hui, notre coopérative n’a plus de preuve à donner de la pertinence et du bien fondé de ses actions.

Nous souhaitons aller plus loin

Cela fait maintenant 2 ans que nous bataillons avec Orange pour obtenir le droit, comme n’importe quel opérateur, d’exploiter leurs réseaux fibres. Prochain épisode la semaine qui vient. Mais quoi qu’il arrive, proposer des connexions fibre va nous coûter plus cher que de proposer des connexions radio, le prix risque naturellement d’augmenter.

Depuis plusieurs mois, nous avons développé quelques poches isolées en nous basant sur le réseau RCube de la région. Malgré quelques désagréments techniques inhérents à l’interconnections de réseaux, ça fonctionne plutôt bien. Suite à la récente réduction d’envergure de leur réseau, on se propose d’ailleurs, au cas par cas, de trouver des solutions de maintient de la connexion des personnes concernées.

Nous avons donc la ferme intention de proposer le même principe avec la densification du réseau fibre : baser nos réseaux radio sur la fibre à mesure qu’elle se déploie pour alimenter ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas obtenir la fibre (maison isolée, fourreau bouché, …)

Et certains nous disent déjà, dans des zones fibrées comme Saint Bris le Vineux : « pourquoi payer 40 voir 50 € par mois une connexion fibre quand la connexion radio que me fourni SCANI est suffisante ? En plus, c’est local et non marchand ! »

Pédagogie, répétition

Nous avons déjà, à leur demande, pris le temps nécessaire pour expliquer tout ce qu’il faut expliquer sur ces sujets à des dizaines d’élus communaux et intercommunaux de l’Yonne. Mais il en reste encore beaucoup qui nagent dans l’ignorance. Ce n’est pas un reproche, mais chacun le sent bien : c’est un sujet important et on peut vite se faire mener en bateau.

Nous le répétons donc haut et fort :

ÉLUS DE L’YONNE :
VENEZ NOUS VOIR.

SCANI n’est pas qu’un fabricant d’accès à internet. Le second objet statutaire de notre coopérative concerne « L’initiation et le perfectionnement à la pratique et la maîtrise des technologies par le partage des connaissances ». Jusqu’au 30 juin 2021, nous irons même encore plus loin : la seule contrepartie que nous demanderons à ces rendez-vous sera votre engagement de soumettre à votre conseil municipal, communautaire ou départemental le principe d’une adhésion à notre coopérative (participation libre par tranche de 10 €)

Nous avons bien conscience des plannings serrés, du côté rebutant de « risquer de passer pour un imbécile en posant des questions idiotes » et pouvons donc même faire l’effort de venir à votre rencontre pour une séance en tête à tête (mais il serait préférable de grouper un peu)

On rappel s’il était nécessaire que 70% du travail effectué dans SCANI est volontaire et bénévole, ces opérations ne feront pas exception.

Pour en savoir plus

Notre site documentaire s’étoffe de jour en jour et est consultable par ici. Vous pouvez nous laisser un message dans la partie « contact » du site et même, si le coeur vous en dit, vous inscrire.

Complément du 11 décembre

Il semble que notre lecture soit un peu biaisée. Le retard ne serait en effet que de 6 mois et non 2 ans. Nous regarderons donc avec attention fin 2023 🙂

Commentaire (1)

  • Marc| 22 décembre 2020

    Merci pour ce post.

    C’est vrai que la nuance sur le « Près de 120 000 prises seront donc déployées en 36 mois » n’est pas évidente à saisir. Je pensais que le réseau qui va être déployé à terme en 2023 allait inclure le raccordement de ces fameux boitiers PBO aux PTIO (=les « prises FTTH » ). Mais non 🙁

    C’est plus clair maintenant 🙂

  • Répondre à Marc Annuler la réponse

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *