Ce jeudi 8 juin a été le jour de la première grosse panne de fibre dans l’Yonne. On va essayer de vous faire comprendre ce qui s’est passé et pourquoi certains ont été affectés et pas d’autres. Vous êtes bien accroché ? C’est parti !
Pour commencer, on va partir de la fin. Le coupable de cette panne est un équipement situé 6 Rue Georges Marrane à Vénissieux. Il est stationné dans le bâtiment qui sert d’illustration au présent article. Mais revenons au début.
Un peu après 13h, à peine le temps de finir de manger, 35% de l’ensemble du trafic du réseau de la coopérative bascule. Quand on parle de trafic qui bascule, il s’agit en fait de données échangées par les membres de SCANI vers et depuis internet qui doivent en principe passer par tel chemin dans le réseau que nous gérons et qui se mettent à utiliser un autre chemin.
Ça arrive souvent dans un réseau, et même plusieurs fois par minutes à l’échelle d’internet tout entier, c’est justement une des bases de conception des réseaux : les données passent par là ou elles peuvent passer, peu importe si la qualité du lien est pas géniale, tant que les petits paquets qui contiennent les données arrivent à bon port.
35% du trafic, c’est beaucoup. Et il y en a un peu qui s’est perdu en route, bref, quelque chose ne va pas … mais quoi ?
Chez SCANI, on est un peu détendus. On n’est pas la NSA, et quelques minutes de coupures, on sait que de toute façon ce n’est pas la peine de s’agiter, le plus souvent, ça revient (la majeure partie du temps, c’est une coupure de courant sur un relais et nos copains de chez Enedis font bien leur métier, donc ça fini par revenir tout seul. Mais un peu avant 14h, on commence quand même sérieusement à se poser des questions, et 2 ou 3 membres se plaignent que « plus de fibre ».
Du coup on « compte les morts ». On prends notre petite carte et on regarde ou il y a du rouge anormal (oui, parce que chez nous, sur les outils techniques, il y a des indications de « trucs cassés mais c’est normal » … ça fait 3 ans qu’on a dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose pour que ça n’apparaisse plus, mais vous savez ce que c’est, le cordonnier mal chaussé …)
Voilà en gros à quoi ça peut ressembler (et encore, on vous a servi la version simplifiée) … Un novice ne verra sûrement pas le problème du premier coup d’oeil, mais nous on voit tout de suite : il y a un problème de collecte fibre dans le sud du département.
C’est quoi, la collecte fibre ?
Ceux qui ont lu les rapports moraux de SCANI de ces 2 ou 3 dernières années le savent (à retrouver par ici) mais pour les nouveaux, pour un fournisseur d’accès, il y a en gros deux grandes méthodes pour relier des abonnés :
- Vous allez installer votre matériel dans les armoires, les centraux, etc … et vous gérer vous même le « dernier kilomètre », en gros, ça vous coûte très cher à la mise en route, un peu moins cher à l’exploitation, vous pouvez faire un peu comme vous voulez mais si ça tombe en panne c’est souvent de votre faute. On appel ça l’exploitation en mode passif
- Vous demandez à un autre opérateur (souvent celui qui a construit le réseau dans la rue du coin ou vous voulez exploiter) de gérer pour vous tout les petits détails locaux et vous vous faites livrer le trafic à un endroit (ou, idéalement, deux) ou tout ce qui concerne vos abonnés va transiter. Vous payez moins cher à la mise en service, plus cher à l’abonnement, vous êtes moins indépendant, mais si ça casse à l’autre bout de la France, l’abonnement plus cher que vous payez sert à payer des gens pour aller réparer. On appel ça l’exploitation activée ou « en mode collecte ».
Il y a (sinon, ça serait trop simple) un infinité de situations intermédiaires, vous vous en doutez, mais vous voyez en gros le tableau.
SCANI opère sous réseau sous les deux principes en fonction des zones géographiques. Sur l’image ci-dessus, le gros pâté plein de cercles verts, c’est le Jovinien, ou SCANI a massivement (> 100.000 €) investi pour exploiter passivement le réseau de BFCFibre et ou il n’y a pas eu de soucis aujourd’hui.
Si vous regardez un peu plus haut, on trouve aussi des cercles verts, signe que tout va bien aussi au nord.
Par contre, au sud et à l’est, c’est moins joli. Il y a de la fibre HS. Heureusement, le réseau radio que nous avons construit depuis 10 ans, lui, fonctionne.
Et donc, c’est tout pété ?
14h, la conclusion est relativement simple : tout va bien chez SCANI, puisque les choses qui sont en panne sont sectorisée dans un coin donné, et que, sur les mêmes connexions de collecte, on a des gens qui sont encore là et d’autres qui ont disparu.
100% des fibres qui sont en panne sont gérées de manière activée (second point ci-dessus) par Yconik, filiale d’Altitude Infrastructure, qui est actuellement entrain de déployer plus de 140000 lignes fibres dans le département (on en est en gros à 60% ce jour, fin prévue pour Noël … mais on a encore un doute sur l’année).
Ce n’est pas une information publiquement disponible, mais comme nous avons de grandes oreilles chez SCANI, on le sait : même s’il est prévu d’être « bouclé », le réseau Yconik est encore à ce jour scindé en deux :
- le nord du département (en gros jusqu’à Joigny, qui, elle, n’est pas concernée par Yconik) est connecté à un point central situé au dessus de Sens
- le sud, pour sa part, est connecté à un point central situé au dessus d’Auxerre
De ces deux points centraux, le trafic « du nord » part directement vers Paris et le trafic « du sud » part vers Dijon le long de nos autoroutes favorites. Plus tard, les deux seront reliés et le trafic de l’ensemble pourra aller d’un côté comme de l’autre, c’est le principe de redondance des réseaux dont on parlait plus haut, mais comme tout est fait à l’envers dans la fibre, ils commencent par l’amener chez les gens avant de s’assurer que les grosses dorsales sont sécurisées (et ce n’est pas spécifique à Yconik, hein, on vous voit venir … tout le monde fait pareil, parce que « c’est pressé, la fibre ! »)
En voyant notre carte, le bilan est évident : le réseau sud d’Yconik est coupé.
Premier réflexe, on écrit à Yconik pour signaler la situation. Comme il y a 6 services avec 12 sous-sevices et une flopée d’options, on tombera encore sur une charmante réponse du type « oh ben non tout va bien » .. on a finir par conclure qu’il fallait un bac+12 en base de données pour écrire à la bonne personne chez eux, et tant pis …
On s’attendait à mieux de votre part !
Évidemment … à côté de la demande officielle « pour la forme », on lance donc nos petites taupes et on gratte dans nos réseaux pour avoir des infos. Ça ne tarde pas à tomber : des soucis sur un lien qui passe le long de l’autoroute A6.
On lance quelques news aux membres concernés qui se sont manifestés et, puisque de toute façon, on ne peut rien faire de notre côté, on retourne à nos occupations.
Et puis, vers le milieu de l’après midi, on fini par tomber sur une conversation sur Twitter ou quelques copains râlent que c’est pénible les problèmes dans les datacenters ces derniers temps (de notre côté, on a eu du bol, mais il y en a un qui a brûlé il y a quelques semaines) … Et pour cause, le bâtiment de SFR à Vénissieux (c’est à côté de Lyon, c’est pour ça qu’on n’avait pas tout de suite vu la discussion, on cherchait moins loin) a perdu ses deux lignes de courant en début d’après midi.
En début d’après midi, mais c’est le début de nos soucis, ça !
Eh oui, internet, en France, ça se concentre en deux points : à Paris et à Lyon, et l’Yonne est coupée en deux en la matière (en tout cas pour ce qui concerne la fibre déployée par Yconik). On se rassure hein, après être allé faire un tour par Lyon, plus de 80% du trafic remonte à Paris hein, c’est quand même la capitale ! 🙂
Que vient foutre SFR dans l’histoire ?
Vous vous souvenez, au début de l’article, on a dit qu’on expliquait schématiquement le passif et l’activé ? Eh bien nous y sommes. Quand on gère un réseau (quel qu’il soit, pour un fournisseur d’accès comme SCANI ou pour un opérateur d’infrastructure comme Yconik), on installe des connexions entre tel endroit et tel endroit mais quand il en existe déjà, plutôt que de remettre des câbles, des machines, des bâtiments, etc … on utilise (on loue, en réalité) ce qui existe.
Le trafic qui sort de votre ordinateur, il va atterrir dans un autre ordinateur qui va vous répondre et ainsi de suite. Ça arrive que cet autre ordinateur soit chez un particulier (c’est le cas des protocoles peer2peer, vous savez, les vilains trucs qui servent à pirater des films … ah non, ça, c’était en 2012 ..) mais la plupart du temps, l’ordinateur de l’autre côté, il est dans un gros bâtiment industriel qu’on nomme communément « datacenter ». Certains disent aussi « le cloud », mais qu’on ne s’y trompe pas, ça ne reste qu’un gros tas d’ordinateurs qui consomment une énergie folle.
Le NetCenter SFR de Vénissieux est un de ceux là : un datacenter (l’un des plus gros, ou en tout cas des plus prisés, hors Paris), qui a également l’avantage d’être un des premiers du secteur géographique et donc de concentrer un grand nombre d’opérateurs, dont celui qui transporte les données collectées par Yconik dans le sud de l’Yonne.
Oui, parce que si c’était Yconik qui gérait tout, ce serait trop simple. Ils construisent le réseau dans nos rues Icaunaise, mais ce n’est pas eux qui ont creusé le bord de l’autoroute (c’est APRR), et ce n’est pas eux qui gèrent « l’arrivée » à Lyon ni la remontée à Paris.
Bref, le trafic collecté sur Yconik dans le sud de l’Yonne, il arrive à Vénissieux dans le bâtiment de SFR, et de là, il remonte à Paris pour retomber sur le réseau de l »opérateur concerné.
Ah parce que Yconik, ils travaillent pas que pour SCANI
Ben non, c’est un réseau ouvert à tous les opérateurs. Vous vous souvenez ? On a prévenu que ce serait compliqué.
Donc les petits comme nous, évidemment, vu qu’ils ne peuvent pas financer un déploiement passif, ils utilisent des offres activées. Mais le truc amusant (enfin, relativement amusant), c’est qu’il n’y a pas que les abonnés des petits opérateurs qui ont été touchés par la panne.
Bon, évidemment, pas Orange. Orange, ils ont leur propre réseau (vous savez, celui qu’on a bradé en bourse à la fin du siècle dernier), mais un autre opérateur dont la maison mère est spécialisée dans le béton a subit les mêmes désagréments …
Mais pourquoi ? T’avais dit que les gros il faisaient du passif sans être dépendant d’Yconik
Ouiiiii, ils font ça. Mais pas partout, pas sur tout le trajet.
Certains s’en souviennent probablement, un réseau fibre, c’est composé de :
- Une PTO (prise terminale optique), c’est la prise qui est chez vous
- Un PBO (point de branchement optique), c’est la boite qui est sur le poteau devant la maison et qui collectionne les 4 à 10 logements autour
- Un PM (point de mutualisation), c’est l’armoire du quartier ou sont rassemblés tous les câbles qui vont dans les PBOs du coin
- Un NRO (noeud de raccordement optique) qui rassemble tous les PMs du secteur
Mais après le NRO … comment on va sur internet ? Y’a une boite magique dedans avec tous les films de netflix et tous les articles du blog de SCANI ? Non, on va à Lyon et surtout à Paris.
SCANI gère toute cette mécanique sur Joigny (c’est le projet Racine auquel vous pouvez encore contribuer) mais ailleurs, on laisse faire Yconik.
Les autres gros opérateurs (en dehors d’Orange, donc) aussi gèrent tout ça, mais sortis du NRO, pour aller sur leurs « têtes de réseau » à Lyon et à Paris, ils passent par …. Yconik.
Et du coup, il s’est passé quoi, en vrai ?
Une panne dans un datacenter, c’est assez rare, mais ça arrive. Là, c’était une panne électrique partielle qui a globalement été réparée relativement vite (moins d’une heure à priori, mais nous n’avons pas de données précises là dessus) … Mais le réseau d’Yconik n’a pas redémarré. Il semble que ce soit dû à un disjoncteur qui aurait sauté, mais on n’en saura probablement pas plus, et certainement pas de manière officielle.
Il a fallu que quelqu’un se déplace jusqu’à Vénissieux pour aller appuyer sur un bouton.
C’est quoi, la chute de l’histoire ?
Deux morales :
SCANI va conserver son réseau radio, parce que lui, il tombe en panne de temps en temps, mais jamais partout en même temps comme ça, et surtout on a du monde sur place. On a du mal à faire comprendre l’importance de cet outil, et on aime pas avoir raison et sortir des « gna gna gna on vous l’avait bien dit », mais la preuve est faite.
Le déploiement de la fibre, c’est n’importe quoi. Personne ne sait qui fait quoi, même les opérateurs n’ont aucune idée des dommages collatéraux de leurs âneries, et commencer par la fin, c’était vraiment pas l’idée du siècle. Il y a un état de l’art en matière de réseau, et il est clair : on double les artères principales avant tout.
En bref : si on ne chouchoute pas nos réseaux et qu’on fait tout à l’envers, une mouche qui pète à Vénissieux, ça coupe l’internet à Tonnerre.